Ignace Youssef III YOUNAN, Patriarche d’Antioche des Syriaques Catholiques: «Survivre en diaspora est notre plus grand défi»
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner (La Croix):
De passage en Europe ces jours-ci, le Patriarche d’Antioche des Syriaques Catholiques, Ignace Youssef III YOUNAN, visite ses fidèles qui s’y sont réfugiés.
Il célèbre aussi des ordinations, signes d’un début de structuration de l’Église en diaspora.
La Croix: Vous avez célébré des ordinations dimanche 19 novembre à Tours. Cela signifie-t-il que votre Église s’organise en France, grâce à l’apport des réfugiés?
S.B. Ignace Youssef III YOUNAN: A Tours, j’ai célébré l’ordination de quatre jeunes chanteurs et lecteurs et de neuf sous-diacres, dont un qui est resté handicapé après un accident de voiture. La plupart d’entre eux sont issus de familles irakiennes réfugiées en France et sont encore étudiants. La célébration était très belle: 400 personnes y ont assisté, dont de nombreux bénévoles français qui aident les réfugiés à s’intégrer.
Samedi 25 novembre, j’ordonnerai un prêtre à Bruxelles, un Syrien d’origine, qui s’est formé au Liban avant de venir poursuivre ses études à l’université de Leuven. C’est le premier prêtre que j’ordonne en Europe. La période actuelle est en effet très difficile dans notre Église pour les vocations: qu’ils soient réfugiés au Liban ou ailleurs, les jeunes sont dans une situation précaire. Ils se sentent obligés de rester avec leurs familles et de subvenir à leurs besoins.
La Croix: Quelle est la situation de vos fidèles et de votre Église en France ?
S.B. Ignace Youssef III YOUNAN: En France, l’Église Syriaque Catholique est présente depuis plus de 90 ans grâce à la mission Saint-Ephrem, basée à Paris. Elle est en pleine renaissance aujourd’hui grâce à un jeune prêtre, le père Elie Wardé, qui célèbre aussi pour nos fidèles à Tours et à Lille.
Je suis optimiste pour la communauté de Tours. La plupart de ses membres viennent du Nord de l’Irak ou de Bagdad: ils parlent entre eux le sourath, le syriaque dialectal (NDLR: une langue proche de celle utilisée dans la liturgie). On peut penser que la langue survivra ici dans les familles, grâce à la liturgie et surtout grâce aux chants. Nous pensons d’ailleurs, avec Mgr Pascal Gollnisch (NDLR: directeur de l’Œuvre d’Orient et vicaire général de l’ordinariat des catholiques orientaux) à nommer pour Tours, mais aussi Angers et Nantes, un prêtre de Bagdad qui se trouve déjà en France.
Nous prenons au sérieux ce qu’a dit Jésus: «L’homme ne vit pas que de pain». Nos fidèles ont beaucoup souffert: ils arrivent en France plein d’espoirs alors qu’il leur reste encore de lourdes épreuves à traverser pour vivre leur foi dans cette nouvelle société. Mais ils sont très reconnaissants à la France et tiennent bon. Une dominicaine de la Présentation, venue d’Irak, s’occupe de la catéchèse à Tours et cet été, quinze enfants ont fait leur communion solennelle.
La Croix: Comment imaginer l’avenir de votre Église en diaspora?
S.B. Ignace Youssef III YOUNAN: Survivre comme Église en diaspora est notre plus grand défi. Moi qui ai servi comme prêtre puis comme évêque pendant vingt-deux ans aux États-Unis et au Canada, je mesure les efforts que cela nécessite. Nous devons nous intégrer dans des sociétés très différentes de celles dont nous sommes originaires, tout en conservant notre patrimoine.
La Croix: Qu’en est-il dans vos pays d’origine? L’Église Syriaque Catholique peut-elle survivre en Syrie et en Irak?
S.B. Ignace Youssef III YOUNAN: Cela fera bientôt neuf ans que je suis Patriarche, et cela fait sept ans que la Syrie est en crise, et même vingt ans pour l’Irak.
Je crains qu’à l’avenir, nos pays ne ressemblent à la Turquie, où l’on ne compte même plus 50 000 chrétiens pour 80 millions d’habitants et où les pèlerins se rendent sur les pas de saint Paul mais ne voient que des ruines… Voilà ce qui nous fait pleurer intérieurement. Que répondre à nos jeunes qui nous disent qu’ils en ont assez d’être des citoyens de deuxième ou troisième catégorie et veulent épargner cela à leurs enfants? Nous devons pourtant les convaincre de rester sur leur terre et d’y porter témoignage.
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